Survivre heureux, un jour après l'autre

Faut-il dissocier les rôles de soignants et de parents ?

L’expérience qui a forgé notre opinion

Nous étions à Necker, Baptiste avait un mois. Il n’avait pas encore de trachéotomie et ce n’était même pas encore envisagé. Son état s’étant stabilisé à la suite de l’opération des cordes vocales, il a pu sortir du service de réanimation pédiatrique, pour aller au service « soins continus ».
La différence entre les deux services est énorme, il y a beaucoup moins d’infirmières, et ces dernières gèrent principalement des enfants en état stable sortant d’une opération « commune » (jambe cassée, appendicite…). Ils n’ont jamais vu un enfant VACTERL… Leur niveau d’alerte est donc bien moindre, si les capteurs de Baptiste se détachent, ou si vous appuyez sur le bouton pour avoir de l’aide, il peut arriver qu’une demi-heure se passe avant que quelqu’un n’arrive. En réanimation, c’est de l’ordre de la minute. C’est un inconfort pour tous ceux qui passent dans ces services (tous les parents que nous avons croisés ont critiqué ce service), et dans le cas d’enfants comme Baptiste, c’est même extrêmement dangereux.

Puisque nous n’avions pas la possibilité de dormir à côté de lui en réanimation, nous laissions Baptiste aux bons soins des infirmières pour la nuit. Il nous a donc paru évident de le laisser ici encore, sachant que nous avions déjà une chambre dans la maison des parents et que la mutuelle n’allait pas rembourser un lit accompagnant d’un côté et une chambre de l’autre (un seul parent était autorisé à dormir près de Baptiste). De plus, nous étions ma femme et moi loin de chez nous, très malheureux, sous le choc de notre situation, et avions besoin chacun de la présence de l’autre. Franchement, nous ne nous sommes absolument pas posés la question, c’était normal pour nous, puisque c’était comme ça depuis le début. Nous avons donc laisser Baptiste passer ses nuits seul dans le service.
Un soir, il était à peu près 20 h, et nous allions partir, je demande à une infirmière de donner un biberon à Baptiste, car il y avait du retard sur le planning. Cette dernière me répond avec une logique bien à elle, que puisqu’il y a du retard sur le biberon et qu’il y a un biberon toutes les trois heures, le mieux, c’est d’en sauter un pour reprendre le rythme à minuit. Je sais qu’elle a tort et que si sa solution est arrangeante pour quelqu’un, c’est uniquement pour elle. Malheureusement, nous étions à l’époque bien différents des personnes que nous sommes maintenant. Nous avons fini par accepter et laisser Baptiste pour la nuit. Nous avions déjà eu des problèmes avec cette infirmière. Plus tôt dans la semaine, la colostomie de Baptiste s’était décollée, nous l’avions appelée à l’aide. 15 minutes plus tard, elle arrivait, voyait la colostomie, râlait et est repartait. Elle n’est jamais revenue, nous avions alors dû traverser l’hôpital pour trouver une infirmière de réanimation pour qu’elle vienne nous aider… Inutile d’expliquer l’inconfort et la panique que ça a été pour Baptiste et nous…

Baptiste première version, qui respire sans trachéo

Baptiste première version, qui respire sans trachéo

L’accident

Le lendemain matin, nous recevons un appel de l’hôpital après une semaine de stabilité. Baptiste a fait « un petit accident », et il a dû réintégrer le service de réanimation. Apparemment, il va bien et il ne faut pas s’inquiéter. Une fois sur place, on nous explique qu’il a eu un accident respiratoire, il a perdu conscience, ne respirait plus, et il a donc été ventilé avant de reprendre connaissance…

Voilà.

Je savais que je ne pouvais pas faire confiance à cette infirmière. Je l’avais vue, je le savais, j’ai laissé faire. Et maintenant quoi ? Je peux dire aux médecins : « Je l’avais dit qu’il fallait lui donner son biberon, mon petit est trop faible ! ». Je peux aussi me dire à moi-même : « Je ne la sentais pas cette infirmière, je m’en doutais qu’il pourrait y avoir un souci ».
Et ça sert à quoi de pouvoir dire ça après coup ?
À rien.
Combien de temps mon fils a-t-il pleuré parce qu’il avait faim ?
Combien de temps a-t-il peiné à respirer ? Avec des constantes alarmantes, sur un écran que personne ne regarde ?
Il s’est passé une minute ? Deux minutes ? Vingt minutes ? A-t-il failli mourir ? Va-t-il avoir des lésions au cerveau ?
Je n’en saurai jamais rien, le service de soins continus nous a bien sûr affirmés qu’ils avaient réagi promptement. Je ne porte aucune valeur à cette réponse, qui vient de la personne que je juge responsable de l’accident.

Cet événement nous a changés. Hors de question que je redise « je le savais », ou « je m’en doutais ». Si j’ai un doute, si je n’ai pas confiance, personne ne restera seul avec Baptiste. Jamais.

Maintenant c’est ensemble, tout le temps

Quelques mois plus tard, après avoir effectué une radio sous anesthésie, il était question de faire dormir Baptiste au service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital de Rennes. Je n’ai pas eu confiance et j’ai donc interrogé les infirmières sur leur connaissance des trachéos. Elles répondent toutes qu’elles maîtrisent. Je leur demande donc où est leur matériel de secours et ce qu’elles doivent faire si Baptiste se décanule. La réponse devient plus hésitante, elles sont sûres que tout ira bien.
C’est inacceptable.
Nous bloquons tout, demandons à signer une décharge pour rentrer chez nous, puisque de toute façon, il y sera plus en sécurité. Au bout de 4 heures de négociations horribles avec la chef de service, l’anesthésiste et l’infirmière, où nous regardons des gens dans les yeux en leur expliquant : « nous ne savons pas faire de perfusion, nous ne savons pas faire les soins que vous prodiguez tous les jours, mais « faire du Baptiste », c’est notre domaine. Nous savons de quoi nous parlons, nous connaissons les risques, et il est hors de question que nous vous laissions notre fils ». Nous avons finalement été envoyés dans un service plus apte à surveiller Baptiste pour la nuit.

Une autre fois, lorsque Baptiste a dû passer un examen radio, il était impossible que j’assiste à l’examen. C’était formellement interdit. Pas une seconde pourtant, je n’ai eu un doute sur le fait que j’irais avec lui :
« Vous savez gérer une trachéo?
– Oui bien sûr ça ira très bien !
– Vous prenez mon matériel avec vous ?
Il regarde mon sac sur le sol.
– C’est son respirateur ?
– Non, c’est son aspirateur pour les sécrétions, et c’est parce que vous ne savez pas ce que c’est que je vais rester à ses côtés ».
Il est parti se renseigner et j’ai eu droit à une belle combinaison en plomb pour pouvoir participer à l’examen.
Nous sommes retournés plusieurs fois faire des examens radios, et maintenant nous n’avons plus aucun souci, nous pouvons même rentrer Laurène et moi en même temps, ce qui s’avèrent somme toute indispensable.

Examen en milieu stérile, tous ensemble et avec bonne humeur  !

Examen en milieu stérile, tous ensemble et avec bonne humeur  !

Sommes nous juste des parents pénibles?

Alors on peut se demander, si nous ne sommes pas devenus très lourd. Laisser son enfant quelques heures, quand même… Et bien non. nous avons la conviction de bien faire et c’est ce qui nous donne tous les droits. En deux ans, Baptiste a eu deux fois des accidents respiratoires à la maison. Il est véritablement mort sous nos yeux, je lui ai fait du bouche à canule, j’ai fait un massage cardiaque, et Baptiste est revenu à lui les deux fois. Je ne suis pas du tout convaincu, que s’il avait été à l’hôpital (en dehors des services de réanimation), la réaction aurait été aussi rapide et qu’il aurait survécu. Son premier malaise, ma femme appelait le SAMU pendant que je réanimais Baptiste . Quand ils sont arrivés Baptiste était conscient et allait très bien. Les deux ambulanciers pensaient avoir à faire à un enfant de 10 ans et ne savait pas qu’il avait une trachéotomie. ils n’avaient pas emmené le matériel adéquat. Ils se sont mis devant Baptiste , ont pris leur téléphone pour appeler leur centre et lui ont demandé la marche à suivre… Pas la peine d’en rajouter non ?

Une autre fois, nous étions à l’hôpital, la veille d’une opération. Baptiste avait un peu de fièvre, l’opération était sur le point d’être annulée (en plus une opération cruciale : remise en continuité et moëlle épinière). Pour moi, c’était fichu, je n’y croyais plus du tout. Pour ma femme, c’était juste les dents qui poussaient, elle était sûre que l’opération aurait lieu. Elle a empêché les gens d’annuler, et obtenu un délai pour voir si au dernier moment son état s’améliorerait. Le lendemain matin, elle a empêché les infirmières de nourrir Baptiste (car il faut être à jeun 6 heures avant une anesthésie générale). Finalement, la fièvre est tombée, l’opération a bien eu lieu.

Dernièrement, Baptiste avait une grosseur au niveau de la trachéotomie (une sorte de bourgeon qui ne réagissait plus au nitrate d’argent), nous l’avons amené voir un chirurgien ORL, qui disait que tant que nous n’avions pas de problème pour faire les soins et remettre la canule, il n’était pas nécessaire d’intervenir. Toutefois dès que nous le souhaiterions, si nous le demandions, il se ferait opérer pour retirer la grosseur. Quelques mois plus tard, un examen sous anesthésie générale était programmé (une fibroscopie). Nous avons voulu profiter de l’occasion pour lui faire retirer la grosseur. Pas de chance la chirurgienne s’approchait de son congé maternité, et il a fallu me rediriger vers ses collègues. Au final pas de nouvelle des collègues, j’ai envoyé des mails aux chirurgiens qui s’occupaient de Baptiste , mis tout le monde en copie, relancé plusieurs fois… Et bien le jour de l’examen, Baptiste a été opéré comme nous le souhaitions.

J’ai encore beaucoup d’exemples, le fait que nous soyons avec lui en permanence, quel que soit l’examen, nous permet d’avoir les informations beaucoup plus rapidement et de connaître le dossier sur le bout des doigts. Très souvent, nous informons un chirurgien sur un aspect de Baptiste que personne ne lui avait communiqué et qui a des conséquences sur une opération, un traitement ou un examen.

Conclusion

Je décris ici beaucoup de rapports de force avec le corps médical. À chaque fois, cela se fait dans le respect de nos interlocuteurs, car nous travaillons toujours en totale collaboration avec eux. Nous ne voulons pas avoir de conflits avec eux, mais nous n’avons plus peur de faire valoir notre avis, tant pis si cela peut parfois vexer notre interlocuteur. À nous de trouver les mots pour que la personne comprenne nos choix et nos décisions.

Certains disent qu’il ne faut pas mélanger les rôles de soignants et de parents. Chacun sa place, laisser faire le corps médical et se concentrer sur son rôle de parent. C’est un discours que nous rejetons en bloc.
Il ne s’applique pas à un enfant né avec l’association VACTERL, où chaque spécialiste n’a qu’une vague idée des autres symptômes (hormis un chirurgien, qui a fait la moitié des opérations de Baptiste et qui est vraiment génial). Laurène et moi, sommes les seules personnes à maîtriser le dossier de A à Z. À présent, nous avons l’impression qu’à Rennes, l’équipe médicale nous considère parfois comme des collègues, nous laissant des responsabilités pas toujours évidentes à gérer. C’est la contrepartie de nos choix, nous assumons notre rôle. Nous sommes parents et soignants à la fois, et si Baptiste en est là aujourd’hui, c’est grâce à cela.

Docteur Maman, diplômée de l'Université des bisous

Docteur Maman, diplômée de l’Université des bisous

Nuance importante

L’infirmière détestable que j’évoque à Necker est un cas isolé. La grande majorité des infirmières sont très compétentes, impliquées et elles nous ont appris presque tout ce que nous savons (et maintenant nous leur donnons nos petites astuces à notre tour). Lorsque nous passons à l’hôpital Sud, nous allons saluer les infirmières de réanimation, et c’est toujours un excellent moment.  Nous les avons côtoyées pendant des mois, elles adorent Baptiste et lui ont même fait un cadeau d’anniversaire…
En dehors de la réanimation, les soignants ne voient jamais d’enfants VACTERL, ou simplement avec une trachéo, c’est donc logique qu’ils ne sachent pas les gérer. Une formation suivie des années auparavant n’y changera rien. Mais dernièrement pour des raisons budgétaires, il a été décidé que ces services pouvaient accueillir les enfants avec trachéo… C’est une aberration dont ne sont pas responsables les équipes en place.

Bon courage à tous, tenons bon !

10 réponses à “Faut-il dissocier les rôles de soignants et de parents ?”

  1. anne

    merci pour votre article qui fait du bien lorsqu’on est en période de doute

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  2. Vladimir

    Merci pour votre travail d’écriture qui me conforte. Mon fils a lui aussi une maladie génétique rare. Trachéotomie, Gastrotomie, etc…
    Une nuit j’ai cru le perdre j’ai du le ventiler…
    Depuis sa naissance notre vie est un combat et nous ne connaissions personne qui partageait la même vie extraordinaire. Nous aussi nous sommes des parents impliqués expert de notre enfant. Et c’est parfois épuisant d’expliquer aux soignants que leurs protocoles et leurs « on fait toujours comme cela » ne s’applique pas sur notre fils parce que non, nous connaissons les protocoles qui fonctionnent avec notre enfant.
    Merci pour votre blog. Merci beaucoup.

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  3. Delphine Aufort

    Vous êtes vraiment des parents au top 👍 et certainement les plus à même de répondre aux besoins de Baptiste. Gros bisous à vous trois 😘 

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  4. Gabrielle Ferencak

    Si il est vrai que la relation Parents-corps médical est important pour le bien de l’enfant, dans certains cas comme pour nos enfants, ce n’est pas toujours évident à gérer.Lorsque olivier est né et après examen on lui as détecté la fistule thrachéo œsophagienne c’est à peine si nous savions qu’il subirait une intervention à 12h de vie . Etait-elle à risque ou pas ,combien de temps cela durerait-il? nous savions seulement que cette intervention allait changer notre vie ! Nous étions dans une angoisse indescriptible ,sachant que les premières 48 h notre enfant appartient a la science en cas de problème, et pourtant mon mari a tenter tant bien que mal d’avoir des détails ,des explications ….mais rien de rien ,Mon mari a bien essayés de tirer des renseignements auprès des anesthésistes et du chirurgien ,pour avoir comme réponse  » nous ferons notre possible pour que cela se passe bien »…. Nous sommes rester seuls dans notre chambre à se demandés ce que notre petit bout était en train de subir …..Certains connaissent notre histoire ,pourquoi je reviens sur le sujet? Pour signaler aux parents qui doivent passer par ces moments difficiles que la relation parents-corps médical ou soignant devraient être une « collaboration » entre les deux partis.Il est important de ne pas se laisser intimidés ,certes ils sont capables ,c’est leur métier,mais les parents doivent s’informer ,poser des questions encore et encore…. tous les hôpitaux du moins en BELGIQUE ne savent pas ce qu’est le « SYNDROME DE VACTERL! Courage aux parents …..<3

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  5. Bertrand Virevolte

    Tres bel article, une petite larme de tata au passage en se rappelant les premiers jours de Baptiste, et ma première visite à Necker. Baptiste a beaucoup de chance de vous avoir, vous faites preuve d une intelligence à toutes épreuves… Nous sommes fiers de vous. 

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  6. Solène Debusschère

    On ne ne peut que continuer de partager ces infos et témoignages qui je l’espère atteindront la personne qui en a besoin et qui comme vous l’avez vécu dans la douleur, sera en proie aux doutes face aux spécialistes, ce qui peut arriver on l’a bien vu. Au final est-ce que la connaissance de son enfant et la dévotion en tant que parent peut supplanter une décision médicale non pas sure mais faire pencher l’avis et introduire une notion plus personnelle et ajustée à ce que vit bébé le patient et l’observation, le dévouement de son « corps parental », je n’ai aucun doute sur cela.

    Bon courage à tous ceux qui vivent la difficulté et se battent face à l’adversité. Mes respects.

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  7. Olivier Fox

    Medical vs Parental

    Ou comment faire valoir la santé de son enfant face au corps médical pas toujours informé.

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