Survivre heureux, un jour après l'autre

L’alimentation

Lorsque nous avons commencé notre parcours dans le monde de VACTERL, nous n’aurions jamais imaginé que l’alimentation puisse prendre une telle importance dans nos soucis. Depuis la première semaine jusqu’à aujourd’hui, tous les jours, nous essayons de faire en sorte que Baptiste mange mieux. Je vais résumer ici tous les stades par lesquels nous sommes passés : les coups durs, les améliorations et nos perspectives.

[Ajout d’aout 2018 : la situation s’est beaucoup amélioré, alors après avoir lu notre combats dans ce présent article, je vous conseille vraiment de lire l’état des chose en été 2018, ça vous remontera le moral et vous donnera peut être du courage 🙂 )

Entre la naissance et la trachéotomie

Durant cette période, Baptiste est prématuré et subit de lourdes opérations, il ne mange donc pas de lui-même. Le travail sur l’alimentation se limite donc à lui faire téter nos doigts ou des teuteutes afin de tenter de conserver le réflexe de succion. Au fur et à mesure des semaines, Baptiste est de plus en plus conscient, et nous pouvons commencer à lui donner des doses de lait au biberon. Au début 5 mL, puis 10, puis 20… Je crois me souvenir que nous en étions à 50 au bout d’une semaine ou deux. C’était vraiment très rassurant, car nous avions peur que Baptiste ne tète jamais, et pour le coup il mangeait correctement (8 biberons par jour). Pendant quelques jours, nous n’avons même pas utiliser la sonde naso-gastrique, Baptiste s’alimentant seul.
C’est à peu près à ce moment-là que des problèmes respiratoires sont survenus. Pendant cette période, Baptiste pouvait manger dans les meilleurs moments, et nous essayions réellement de ne rater aucune occasion de travailler son alimentation.
C’est alors qu’il a fallu lui mettre sa trachéotomie. On nous avait dit qu’il était possible qu’il ait des problèmes d’alimentation, mais que normalement Baptiste pourrait bientôt manger sans assistance. En réalité Baptiste ne tètera plus ses biberons à partir de ce moment-là.

Jusqu’à l’opération de la gastrostomie et du nissen

Une fois la trachéotomie en place, Baptiste ne mange plus ou presque plus, il ne tète que quelques mL de lait, le reste est envoyé par sonde naso-gastrique. C’est dans cette situation que nous l’accueillons enfin à la maison.
Les repas ont lieu 3 à 4 fois par jour, et en dépit du manque de progrès, nous continuons à essayer de le faire téter à chaque repas. Sur des biberons de 80-100 mL, il ne boit que 10-20 mL… parfois plus. Nous essayons environ une vingtaine de minutes, puis nous utilisons la pompe à nutrition pour envoyer le reste du biberon. Une fois relié à la pompe, il faut envoyer le lait avec un faible débit afin d’éviter que Baptiste ne vomisse, il faut donc compter une heure pour que le biberon soit entièrement passé.
Durant cette heure, Baptiste est installé incliné sur un proclive et ne doit pas trop s’agiter au risque de vomir… Pourquoi vomit-il tant ? Suite à l’opération rétablissant la continuité de l’oesophage, le clapet de l’estomac de Baptiste est inefficace voir inexistant, donc Baptiste vomit très facilement et très souvent (plusieurs fois par jour).

Une fois l’alimentation terminée, il faut encore attendre une demi-heure avant de bouger Baptiste… La nuit notre petit dort sur un proclive qui le maintient incliné pendant qu’il a une alimentation en continu (8h

vacterl vater

Baptiste se remplit le coco, sur un proclive

d’alimentation à très faible débit).

J’ai résumé dans ce chapitre la quantité que Baptiste tète lui même à chaque repas, mais en réalité c’est un peu différent. Cela évolue en dents de scie. Parfois il boit tous ses biberons pour une journée, puis pendant une semaine plus rien… Nous observons parfois de grandes améliorations qui peuvent durer une ou deux semaines, pendant lesquelles chaque jour, Baptiste mange mieux que la veille. Et puis pendant trois semaines plus rien…
C’est ce qui explique que nous avons si longtemps tenté de repousser l’opération de la gastrostomie. Cela nous paraissait être un gros geste alors que Baptiste pouvait manger de lui-même trois semaines plus tard… Nous pensions vraiment être proches du but.

Finalement nous en étions très loin, et je pense qu’il est très important ici de comprendre la difficulté de gérer ces hauts et bas sur le long terme. Un jour nous avons la certitude que Baptiste sera capable de manger sans assistance, le lendemain nous sommes déprimés et nous nous renseignons sur les adultes mangeant avec assistance médicale…

C’est très dur pour le moral et lorsque je parle du fait de se méfier de son optimisme, c’est exactement de ça dont je parle. La clé c’est de savoir qu’une bonne journée peut arriver sans amener la solution à tous nos problèmes. Ce n’est pas parce que Baptiste mange bien une journée, que nous sommes sur la voie de la guérison. A être trop optimistes, nous nous sommes souvent rendus malheureux, nous nous sommes infligés plusieurs fois le fait de découvrir que Baptiste ne mangerait pas avant longtemps.
C’est ce que doit ressentir quelqu’un qui a perdu son ticket de loto gagnant, qui pense le retrouver régulièrement chaque fois qu’il voit un bout de papier… Un grand espoir pendant quelques instants pour un grand moment de déprime derrière.

Parfois lorsque l’on donne des nouvelles à quelqu’un et qu’on lui dit qu’en ce moment c’est très dur parce que Baptiste mange mal, mon interlocuteur doit se demander pourquoi ça nous chamboule tant, alors qu’il n’a jamais vraiment mangé… Et bien c’est à cause de ça, vous pouvez très bien ne pas gagner au loto tous les jours sans que ça ne soit un problème, mais le jour où vous pensez avoir le ticket c’est vraiment très difficile de perdre. Et si vous voyez un proche et que vous lui expliquez que votre malheur c’est d’avoir perdu au loto, il ne comprendra pas la véritable tristesse de la situation.

Entre l’opération du nissen et de la gastrostomie (septembre 2014) et l’été 2015

Puisque Baptiste ne s’alimente toujours pas sans assistance médicale, nous nous sommes résignés à l’installation d’une gastrostomie… C’est une véritable tragédie pour ma femme et moi. Nous vivons cela comme l’échec de plusieurs mois de travail. Ajoutés à cela les soucis que l’on a vécus avec la gastrostomie (Cf article dédié) et le fait que le nissen n’a montré une efficacité qu’après quelques semaines, tout cela donne la pire période à domicile que nous ayons connue.

Lorsque Baptiste arrive à sa première année, nous décidons d’arrêter d’essayer de lui faire prendre des biberons. A ce niveau-là de toute façon, ça ne sert plus à rien, nous nous consacrons donc à la diversification.

Papa remplit le coco de Baptiste

Papa remplit le coco de Baptiste

 

Cela a été compliqué, mais petit à petit, Baptiste a commence à manger des yaourts entiers, puis des soupes et des purées ! A cette époque, les quantités avalées nous impressionnent suffisamment pour que nous ne le branchions à la pompe à nutrition que la nuit, ce qui nous permet d’avoir une vraie liberté de mouvements la journée.
Puis encore quelques mois plus tard (en avril 2015), nous décidons de tenter de ne pas le brancher la nuit. L’arrêt total de l’utilisation de la gastrostomie nous faisait peur car Baptiste ne buvait jamais d’eau et nous craignions qu’il ne se déshydrate. Au final, l’eau n’a jamais été un soucis car Baptiste a toujours bu à sa soif.
L’expérience est une réussite ! Nous arrivons à lui faire manger autant de calories que ce que la pompe à nutrition lui administrait tous les jours, et ce, en quatre repas par jour !

Nous nous voyions déjà retirer la gastrostomie et poursuivre l’évolution de Baptiste avec un poids de moins ! Seulement, il faut que l’enfant s’alimente de lui même pendant 6 mois pour que les médecins envisagent de lui retirer sa gastrostomie… Baptiste mange très bien durant 2,5 mois, il demande même de lui même à manger, et s’impatiente lorsque nous ne sommes pas assez rapides à satisfaire son appétit… Il s’essaye même à manger tout seul avec sa cuillère.

La crise de l’été 2015

Puis petit à petit, les repas se révèlent de plus en plus compliqués. Baptiste ne veut plus ouvrir la bouche, met sa main devant sa bouche, pleure dès le début du repas et ne semble prendre aucun plaisir à la tâche. En parallèle, il vomit de plus en plus, jusqu’à arriver à vomir trois ou quatre fois par jour en moyenne….
Début août, Baptiste tombe malade (simple rhume), ce qui le faire vomir encore plus, manger encore moins… Il perd 500 grammes en une semaine alors que chaque semaine nous luttons à lui faire prendre quelques dizaines de grammes…
Cela faisait quatre mois que Baptiste se passait de gastrostomie lorsque nous sommes repassés à six repas par jour (soit à peu près toutes les deux heures). Voyant que Baptiste continuait à vomir très très souvent, nous avons dû appeler l’équipe médicale à l’aide… Nous avons passé beaucoup de temps à l’hôpital pour faire des examens et des analyses, il y a eu des suppositions, des résultats mitigés, des radios « limites », mais au final pas de réelle cause avec une possible solution… Peut-être une petite hernie hyatale, mais de toute façon inopérable.
L’équipe médicale nous fait comprendre en gros que nous allons devoir apprendre à vivre avec les vomissements et nous conseille de réutiliser sa gastrostomie.
Chez nous, les problèmes continuent, et deviennent très durs à gérer pour le moral. Je deviens personnellement très impatient sur les repas, qui durent environ 30-45 minutes, six fois par jour, avec Baptiste qui se débat à peu près tout le long…

Nous voyons une diététicienne qui nous conseille d’utiliser de l’infatrini (lait médical disponible sur ordonnance) avec des céréales infantiles afin d’avoir une bouillie hypercalorique. Elle permet d’optimiser les apports caloriques en diminuant les quantités.

Une amie de Baptiste lui remplit le coco

Une amie de Baptiste lui remplit le coco

Malgré tout cela, la situation reste tendue et Baptiste ne mange pas correctement, un peu mieux avec ma femme. Je prends donc la décision de lâcher du lest et de lui repasser de la nourriture via la gastrostomie la nuit. Ainsi je ne le force plus à manger et nous passons moins de temps à ça dans la journée… Au bout de seulement deux jours comme ça, Baptiste s’est remis à manger correctement… On remet donc le compteur à zéro pour se débarrasser de la gastrostomie… mais en même temps vues les difficultés que nous rencontrons, nous ne voulons même plus nous en débarrasser… Sa présence est rassurante quelque part.

Rebrancher Baptiste a été vraiment une épreuve extrêmement triste, un échec encore très lourd sur nos épaules… Il faut garder à l’esprit que si nous lui donnions tous les apports dont il a besoin par la gastrostomie, la nuit ne suffirait pas à tout faire passer, Baptiste devrait être immobilisé sur son proclive (qui devient trop petit) la journée aussi, au risque qu’il s’arrache son bouton mic-key et qu’il ne puisse plus jouer ou se développer comme il le fait actuellement. Le lait comme seul aliment lui provoquerait des érythèmes fessiers chroniques et très douloureux. C’est pour toutes ces raisons que réutiliser la gastrostomie a été terrible.

La situation actuelle

Nous en sommes là, finies les purées, les compotes, les soupes… Baptiste n’en veut plus du tout. L’alimentation à base de bouillie médicale hypercalorique combinée à des yaourts « spécial bébé » (pour diversifier malgré tout les goûts) fonctionne « correctement » et Baptiste reprend du poids. Chaque jour nous mesurons exactement les calories que nous lui donnons, nous avons un quota à respecter à chaque repas (100 g de bouillie, ou 150 g de bouillie, ou 60 g de yaourt…). Si Baptiste mange correctement, nous ne le branchons pas, sinon nous complètons l’alimentation la nuit…
Baptiste doit être distrait pour manger (dessins animés surtout), sinon il ne daigne pas ouvrir la bouche et tourne la tête pour éviter l cuillère.
Baptiste ne supporte rien qui ne soit « lisse » ou presque, dès qu’il a un morceau dans la bouche, il vomit. Nous essayons au quotidien de lui donner des quignons de pain, des gateaux apéros, des morceaux de fruits (banane,…). C’est d’ailleurs lui qui en demande, il les léchouille tout au plus mais ne croque jamais dedans par peur de décrocher des petits morceaux.
Le corps médical ne s’avance pas à donner une cause à ses vomissements et à ce refus de manger. Nous nous sommes donc fait notre avis, Laurène et moi.

Nous avons peut-être trop forcé sur son estomac lorsqu’il mangeait correctement. Cela a dû lui causer une hernie hyatale. Il a dû avoir des douleurs en mangeant et donc ne plus vouloir manger. Cela expliquerait également les vomissements. Après avoir réduit les quantités qu’il devait absorber, les choses sont revenues petit à petit à la « normale », ce qui explique qu’il vomisse moins à présent et qu’il mange un peu mieux.

Nous avons donc encore beaucoup d’interrogations sur l’avenir : son estomac va-t-il se développer correctement, lui permettant de mieux manger ? Est-ce qu’on pourra lui enlever la gastrostomie un jour ? Est-ce que Baptiste mangera réellement comme tout le monde un jour ou l’autre, même avec un fractionnement de ses repas ?
Et dans l’immédiat, est-ce qu’on ne devrait pas brancher Baptiste toutes les nuits, et lui donner à manger de bonnes choses la journée qu’on lui cuisinerait… Il aurait moins de calories, mais peut-être plus de joie à manger qu’avec nos quelques arômes dans la bouillie médicale…
Est-ce qu’un jour il pourra macher et avoir un vrai morceau dans la bouche ?
Peut-être que sans la trachéo il mangera mieux ? Quelle est la part de douleurs physique, de traumatisme mental, de traumatisme de la sphère orale, de dégoût… qui fait que Baptiste ne mange pas correctement ? Est-ce qu’en le faisant manger, nous allons le dégoûter à vie ? Ou-est ce que tout ça va se débloquer grâce à nos efforts ? Nous ne savons même pas si nous avons raison de nous battre sur ce chantier…. mais faute de mieux… nous continuons !

Tout au long du processus que j’ai décrit auparavant, nous avons été suivis par des psychomotriciens, des orthophonistes et des diététiciens. Je n’en ai pas parlé car ils ont été impuissants à nous aider et à part la suggestion de faire de la bouillie d’infatrini, il n’y a eu aucune action de leur part qui soient notables. Nous avons dans ce combat le sentiment d’être livrés à nous-même avec Baptiste, le corps médical pouvant constater nos difficultés, sans les réduire.

Cet article n’est pas joyeux joyeux et j’espère qu’il ne va pas déprimer les gens qui ont des interrogations sur l’alimentation de leur enfant… Le meilleur conseil que je peux encore vous donner, c’est de prendre votre temps, d’essayer d’être patient, et de faire de votre mieux en écoutant votre instinct et en faisant des tests.

Bon courage, tenons bon !

 

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3 réponses à “L’alimentation”

  1. Valeix

    Bonjour,
    Je suis très touché par votre histoire et je suis ravie que baptiste va mieux aujourd’hui, personne ne peux comprendre ce que vous avez vécu car il faut le vivre pour le comprendre !!!
    Ma fille est née avec une atresie de l’ œsophage aujourd’hui elle a 10 mois et à subi déjà 13 opérations, nous sommes confronté à ce combat chaque jours, nous sommes positifs et son état de santé s’est nettement amélioré depuis sa naissance et grâce à la médecine, nous continuons le combat qui n’est pas fini….
    Prochaine opération le 09 octobre en espérant que ce soit la dernière et que par la suite on lui retire le bouton de gastrostomie qu’elle a depuis son 2ème jours de vie….

    Répondre
    • Vincent

      Merci de votre message ! Bon courage ! Je vous souhaite le meilleur, tenez bon, ça vaut le coup !

      Répondre
  2. Anonyme

    Bonjour
    Votre “vie”, le quotidien de “Baptiste” me rappelle notre quotidien
    Mon fils a 21 ans et on vient de lui enlever son bouton de gastrostomie qu’il a depuis sa naissance (il avait deux heures).
    Bouton retire le 03/04/2023 et orifice toujours pas refermée au 30/04/2023. Le chirurgien ne veut pas l’opérer car ce serait courir un grand risque. Quentin est multi opéré….
    Il a mangé à l’âge de 8 ans par la bouche. Aujourd’hui tout reste mouliné
    Baptiste a l’air heureux et il est bien entouré. C’est le principal. Au bout du tunnel il y a de la lumière

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